mercredi 7 octobre 2015

Témoignage de Carole

J’ai mis longtemps à me pardonner cet avortement

Carole, 40 ans

Ce témoignage est le premier que je livre au monde extérieur, à moi-même et restera probablement le seul de mon expérience de l'IVG. A 21 ans, tout juste un an après avoir quitté dans des circonstances tumultueuses le domicile de mes parents, je suis "tombée" enceinte. Je vivais alors aux dépens de mon compagnon, qui avait lui-même renoncé à ses études pour subvenir à mes besoins.

Lorsque j'ai su que j'étais enceinte, je crois que je me suis attachée à ce bébé. Ou bien était-ce à l'idée de devenir maman et donc de changer de statut ? Aujourd'hui encore, je me pose la question. Mais à l'époque, je ne trouvais pas ma place, je ne savais pas qui j'étais... J'ai laissé mon compagnon, qui ne voulait pas de cet enfant alors, décider à ma place. Je me sens aujourd'hui encore lâche et coupable de ce manque de franchise envers moi-même.

J'ai caché mon début de grossesse à ma belle-famille, chez qui je vivais alors. Je me suis présentée seule au rendez-vous à l'hôpital. C'était la première fois que je rencontrais une gynécologue, la sexualité était un sujet loin des priorités de mes parents. Ce premier entretien ne m'a offert aucun conseil. Elle m'a exposé le choix devant lequel je me trouvais alors que j'aurais voulu lui dire ce que j’éprouvais. Mais elle m'a laissée seule avec mon désarroi. Je ressens encore cette solitude qui, pendant longtemps, a pesé sur notre couple et nous a éloignés l’un de l’autre.

Ce n'est pas le bébé de Carole qui est sur cette photo.

Après ce rendez-vous, j'ai dû aller faire une échographie dans un cabinet privé. Je n'avais pas d'amies ni de famille vers qui me tourner, alors je me suis là encore débrouillée toute seule. Moi qui n'avais pas entendu parler de sexualité, de grossesse, de choix même, j'ai dû subir une échographie par voie vaginale, me faire toucher, sentir des mains étrangères sur mon corps. J’ai serré les dents.

J'ai appris que j’étais enceinte de 9 semaines, que je n’avais que peu de temps pour réfléchir. J’ai dû écouter le médecin qui n’était pas informé que je souhaitais avorter me décrire l'embryon. J’ai dû le regarder sourire et tenter de me convaincre que ce moment était merveilleux, comme il l'est pour beaucoup de femmes. Je me suis retrouvée complètement désemparée, honteuse, sale et effroyablement seule face à ce qui m'arrivait.

Une semaine plus tard, je me suis présentée à l'hôpital pour une IVG par aspiration, avec anesthésie générale. Je ne me souviens que de mon passage en salle de réveil, les infirmières ont dû me secouer pour me faire émerger. Il me reste de cet épisode des paroles dures, des tons de voix peu délicats. Des regards et des attitudes en disent souvent plus sur ce que nous pensons que les mots que nous sommes autorisés à employer dans le cadre de notre emploi. Je me souviens de mon cœur qui se mettait à battre très fort et de mon estomac qui se nouait de peur.

Le soir, mon compagnon était à mes côtés pour me raccompagner après sa journée de travail. J'ai souri, fait bonne figure, caché mes blessures et suis vite partie, sans jamais parler de cet épisode de ma vie à qui que ce soit. J'ai conserve l'échographie, mais les cicatrices de cette expérience sont ancrées au plus profond de mon âme. J'ai mis longtemps à me pardonner, à pardonner à mon compagnon et à regretter cette IVG. Je n'étais pas mature à 21 ans, je n'étais qu'une enfant qui aurait eu besoin qu'on lui tienne encore la main.

Notre petit garçon est né 10 ans après ma première grossesse. Celle-ci fait partie de mon histoire : elle a modelé la personne que je suis aujourd'hui et le couple que nous formons avec mon compagnon. Je n'en suis pas fière mais je ne la porte plus comme un fardeau. Il m'aura fallu des années et bien de la peine pour en arriver là. Je suis convaincue qu'une assistance psychologique m'aurait permis de me libérer plus tôt et d’utiliser mon énergie à vivre ma jeunesse dans la joie et non la douleur.